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5/9 – LA NATURALISATION DE L’INDE

La naturalisation de l’Inde (pdf)

La culture ne s’oppose pas à la nature mais à l’environnement

Il paraît que l’idée de nature est un concept occidental.

Il paraît que les autres peuples, ceux des forêts par exemple, mais aussi ceux de Chine, du Japon, s’intègrent de manière différente à leur contexte et ne le perçoivent pas comme une externalité. Il n’y aurait pas pour eux l’homme d’un côté et la nature de l’autre.
Ces civilisations n’auraient donc pas la moindre idée de ce que pourrait être… cette idée de nature tant utilisée par l’homme occidental.

Tout cela, c’est déjà compliqué, mais, en plus, on sait maintenant, que l’homme occidental se trompe allégrement dans sa définition de la nature.
Par exemple, ce qu’il pensait être de la nature à l’état pur, ces grands parcs à wilderness (on en parle ici) ou les grandes forêts équatoriales, sont dans la plupart des cas des espaces de culture pour les populations locales (l’Amazonie par exemple est largement marquée par des pratiques agricoles millénaires).
D’où le cri de reconnaissance que certains occidentaux prêtent aux peuples indigènes : « votre nature, c’est notre culture !».

 

Enquête philosophique sur l’idée de nature et bien d’autres concepts

La crise écologique actuelle va venir bousculer aussi ces notions de nature et de culture.
En effet, ce cri « votre nature, c’est notre culture » semble désormais pouvoir se prêter à la biodiversité elle-même.
En disparaissant, on s’aperçoit qu’elle entraîne dans sa chute ce qu’elle cultive, ses cultures, c’est à dire, (pour nous occidentaux) la nature. Ooops, la boulette…

La biodiversité agirait donc comme une civilisation puissante qui cultive chaque jour la planète terre (paraîtrait même qu’elle entretient la tectonique des plaques).
Elle ne se trouve donc pas en état de nature comme l’homme occidental pourrait le croire, mais dans une action de culture… et ce n’est pas ces cultivateurs qui doivent se substituer aux abeilles disparues qui affirmeront le contraire.
La culture ne s’oppose ainsi pas à la nature, mais seulement à l’environnement.

Nature, culture, civilisation, tout cela se fond et se confond dans notre contexte.
Pas facile d’y voir clair… Rien de tel alors, pour démêler la chose qu’un voyage en Inde, ce pays marqué par une nature immense, une culture multiple et une civilisation millénaire…

 

Bienvenue en Inde

Jim Corbett, entre nature et culture 

La biodiversité en pleine action de culture ? Sûr que Jim Corbett (1875 – 1955) aurait pu s’en porter témoin !

Nous sommes au début du XX siècle, dans le nord de l’Inde. Enfin, en Inde, mais pas vraiment… L’Inde est Angleterre à cette époque et, Jim est, lui, un indien (un anglais donc) anglo-indien : Il est né dans un village de l’Himalaya et en pratique la forêt comme personne.

Voit-il alors les choses qui poussent comme de la nature (avec son côté occidental) ou alors pense-t-il qu’elles sont une civilisation (avec son côté indien)?
L’histoire ne le dit pas et en fait va même se moquer de tout cela…

En effet, l’histoire va vite, très vite : Des tigres et des léopards mangeurs d’hommes terrorisent des villages entiers dans les forêts reculées et surtout empêchent l’exploitation de celle-ci par l’administration anglaise.
Jim Corbett est certainement le seul capable de traquer – pendant des semaines s’il le faut – ces mangeurs d’hommes (les exterminer sera son métier pendant 30 ans). Il est pris dans un dilemme : s’il tue ces animaux mangeurs d’hommes et donc protège ses amis villageois, il lance l’administration-exploitation (appelons cela saccage en règle) de leurs forêts… et in fine ne protège pas ces amis villageois (ni les tigres, doubles dindons*, si on peux dire, de cette farce écologique).

Le billet de 10 roupies rappelle que la faune de ce pays rivalisait très largement avec celle de tout le continent africain

 

Il n’y a bien sûr pas de place pour l’hésitation. Jim Corbett le dit : Il tue ces animaux afin de protéger ses amis (et pas le pillage de la forêt).  Mais après cela, il travaillera à la reconnaissance du patrimoine naturel culturel indien : leurs tigres et leurs forêts. Il les filmera, expliquera leurs comportements. Il tentera de démontrer que les mangeurs d’hommes ne sont pas des animaux sauvages mais des animaux en situation de sauvagerie (nuance difficile à expliquer s’il en est).

Les mangeurs d’hommes sont tous perturbés, blessés ou boiteux (comme Shere Khan dans le livre de la jungle).

Finalement, il poussera à la création du premier parc national indien (1936) afin de protéger ce qui peut encore l’être. Ce parc porte désormais son nom.

Les parcs nationaux ne sont peut-être qu’un pis-aller et peut-être un déni de culture  mais ils conservent un reliquat de la méga-faune et les super-prédateurs indiens.
C’est peu mais déjà beaucoup mieux qu’ailleurs (surtout qu’en Angleterre où tout cela a disparu et où la simple vue de castors donnent désormais le tournis à l’état).

Aujourd’hui, 166 parcs nationaux sont prévus en Inde, certains en plein cœur des villes.
Paradoxalement, même dans ce cas-la, exactement comme au temps de Jim Corbett, il y a toujours des morts côté villageois (que l’exode rural compresse à leur risque et péril au bord du parc) et des morts côté animaux sauvages.
Et la culture n’y est aussi plus pour personne : Le régime alimentaire des léopards de Mumbay est aujourd’hui majoritairement des chiens domestiques (errants ou non).

 

La « naturalisation » en urgence de l’Inde

Les parcs nationaux sont basés sur ce concept occidental d’une nature non inclusive. Créer un parc naturel national, c’est déjà y altérer sa culture indigène.
Mais, on oublie surtout que créer un parc, c’est autoriser son extérieur, lui, à devenir une gigantesque zone d’affaires.

Et à l’extérieur des parcs nationaux, en Inde, comme partout ailleurs, l’histoire va vite, très vite.
Le saccage des terres, des rivières et des forêts est gigantesque, celui de la culture aussi (l’Inde est désormais un des premiers pays exportateur de viande bovine au monde).

Le célèbre mouvement Chipko Andolan avait bien tenté d’enrayer l’étalement urbain des espaces et des esprits: Andolan signifie en hindi mouvement et chipko, qui est de l’argot, se traduirait en français familier par « pot de colle ».
Les membres de Chipko Andolan, en se collant contre les arbres, montraient ainsi qu’ils en étaient indissociables.

Le mouvement Chipko

 

Couper leurs arbres revenaient à les couper, eux aussi, de leur culture.

L’histoire a pourtant tranché… les arbres, la culture et… même le concept local de chipko qui a été supplanté à l’international par celui bien plus réducteur (et surtout vendeur) de « tree hugger » (embrasser, aimer, les arbres)… C’est l’idée de nature qui est désormais vendue et non plus celle de culture locale qui est défendue!

L’extérieur des parcs est devenu ainsi, souvent ici comme souvent ailleurs, un fiasco écologique.
L’étalement urbain avance actuellement tel un tsunami de béton et de déchets plastiques.

C’est au tour du gouvernement central maintenant de tenter dans l’urgence de l’enrayer.
L’une des premières actions publiques du premier ministre actuel, Narendra Modi – actions extrêmement appréciées par ses concitoyens -, fut d’ailleurs simplement de balayer).
Le plan du gouvernement, question écologie, est d’obtenir 33% du territoire dédiés à la forêt, 33% aux zones humides et plans d’eaux et donc 33% d’espace urbanisé. Chaque niveau du territoire doit fournir l’effort : le pays, les états, les villes.

Dans l’état du Telangana, par exemple, on se prépare à planter 230 crores d’arbres. Cela veut dire (230 * 1.00.00.000) 2,3… milliards d’arbres et cela… en 5 ans.
Dans sa capitale, Hyderabad, la couverture forestière n’est officiellement pour l’instant que de 5%. L’objectif est d’atteindre très rapidement les 20% !

Cette future nouvelle nature, massive mais réductrice et centralisée, pourra-t-elle faire « chipko » avec la culture locale ? Aux acteurs de terrain de répondre…
L’état central, lui, comme on l’a vu, a toujours du mal avec le local.
Hyderabad, bien qu’elle ait accueilli en 2012 la conférence internationale sur la biodiversité, n’échappe pas à la règle.

La forêt urbaine d’Hyderabad, avec parfois ses espèces exotiques (ici des lauriers roses), est pour l’instant plus adaptée aux voitures qu’à la culture locale

 

Et le jardinier, développeur de biodiversité dans tout cela.

Le jardinier, développeur de biodiversité, garde en tête que les voyages peuvent être haïssables : La culture tout comme la biodiversité n’existent pas sans compréhension ou sans pratique, deux choses qu’un séjour, aussi long soit-il, ne permettra pas.
Malgré cela, les voyages permettent d’enrichir rêves et projets, et l’Inde, pour tous ceux en rapport avec la biodiversité reste un terrain de choix!

Alors, pourquoi pas imaginer un moment, grâce à l’Inde, une vraie ferme à Paris, non seulement avec ses légumes mais aussi avec ses vaches ?
Cela permettrait de passer de l’idée de nature à celle plus durable de culture…

Au milieu des immeubles de briques et de béton, derrière le portail bleu se trouve une étable.
Elle  est arrivée en premier, bien avant la ville. Cette dernière, sans égard pour la première, en condamne les animaux à vivre désormais reclus.
La ferme va très bientôt disparaître.

 

Le responsable de la ferme

 

Le cheptel de la ferme est d’une vingtaine de buffles domestiques pour quelques vaches.

Les animaux sont essentiellement nourris de son de riz.
Un peu d’herbe fraîche est livrée à la ferme une fois par jour. Les résidus de canne à sucre issus de la société voisine sont aussi utilisés.

 

 

La ferme est toujours tenue propre. Les excréments sont collectés sur place, entassés puis évacués une fois par semaine.

 

Malgré la complicité existante entre les animaux et leurs gardiens, le mâle du troupeau est muselé pendant les soins et travaux quotidiens.

Une fois l’an, il sera fait beau et participera à la parade organisée par la communauté dans les rues de la ville (Photo: Nagara Gopal).

 

 

Il y a encore 10 ans, les buffles étaient accompagnés quotidiennement à la Seine (pardon, à la rivière Moosi) pour s’y baigner.
Les routes d’Hyderabad sont désormais réservées aux voitures, les buffles sont douchés deux fois par jour à l’étable. Les bouviers et les animaux sont tristes.

 

 

Une fois étable et animaux lavés, la traite commence.

 

 

Immédiatement suivie de la vente à une centaine de clients toujours fidèles. Environ un euro le litre.

 

 

Comme toute entreprise, cette ferme a naturellement l’ambition de se diversifier.

 

C’est un vrai dommage qu’Hyderabad ne fasse pas « chipko » avec elle, se concentrant sur la caduque idée de nature occidentale plutôt qu’innover à partir de son existant.

* au passage, pour rappel, le mot « dindon » vient de « dinde », abréviation de « poule d’Inde », expression qui signifie cette sorte de poule qui nous vient d’Inde … alors qu’elle nous vient d’Amérique. L’histoire va vite, très vite et se moque même de la véritable origine des poules.

La naturalisation de l’Inde (pdf)